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« Ferme les cuisses » : Quand la parole fait acte.


Dans nos sociétés, les femmes ont l’injection d’être des filles bien. Des filles qui ne couchent pas. A trop le répéter, pourquoi s’étonner quand elles le deviennent ?


Injonctions et société patriarcale.


L’éducation des femmes est marquée depuis l’enfance par la répétition de conseils universellement admis tels que « ferme les cuisses », « baisse ta jupe » et parfois même plus directement « reste vierge ». Ces pseudo conseils – qui sont en réalité des ordres – sont débités sans que l’auteur.e ne puisse en mesurer l’impact. L’impact le plus violent et sournois, est sans doute le vaginisme.

Trouble sexuel qui provoque des douleurs lors de la pénétration, le vaginisme est l’assurance de la « virginité » de la concernée. Car à moins de se faire mal ou d’être contrainte, les rapports sexuels avec pénétration sont impossibles. En lisant des tonnes d’articles sur le vaginisme, rares sont les fois où je l’ai vu mis en lien avec le patriarcat. Or ce lien est fondamental si l’on veut comprendre l’origine de cette psycho somatisation.

On parle de pression mise sur les femmes, de peur de la pénétration, sans jamais en nommer le responsable.


Figure de la vierge marie : le paradoxe féminin.


Une des figures intéressantes pour comprendre ce lien entre patriarcat et vaginisme est la figure de la Vierge Marie, présente dans la religion catholique. Dans d’autres religions et plus généralement d’autres cultures des représentations similaires existes, mais la Vierge est la porte-parole la plus aboutie du paradoxe féminin. Femme idéalisée, fille bien par excellence : elle est mère sans avoir été pénétrée. Elle est et restera vierge, comme c’est si souvent demander aux femmes. C’est l’éloge de la pureté, la figure maternelle auxquelles les femmes sont plus ou moins invitées à se conformer.

Et pourtant, les femmes sont aussi dans les représentations collectives, des êtres pénétrés. Les choses qu’on prend, des trous qu’il faut remplir. Mais si l’existence de la femme se détermine par la pénétration, la Vierge Marie devient alors le contraire de la féminité. Elle sort de ce vaste marché. Elle se soustrait à l’existence de femme. La Vierge devient un anti-modèle. Elle est à la fois femme parfaite, et plus vraiment femme.


Le vaginisme est en quelque sorte une conformité ultime à ce dualisme féminin. C’est un désir d’être une fille parfaite. C’est également une reprise de soi. La femme résumée à être pénétrée, se soustrait à cette tâche. Elle quitte comme la Vierge, le domaine sexuel. C’est à la fois la fille bien par excellence et la femme qui n’est pas femme. Elle se ferme. Le trou cesse d’être trou, et reprend son existence propre. Beaucoup de conseils sur le vaginisme sont insuffisants parce qu’il ne prenne pas en compte ce paradoxe féminin. La femme vaginique ne refuse pas simplement la pénétration par peur, mais aussi parce que depuis toujours on lui interdit. Et si l’on entend souvent dire que ce n’est qu’un problème d’éducation trop strict, c’est méconnaître le climat ambiant.


Une solution qui ne fonctionne pas : le mariage.


Dans les sociétés patriarcales, la femme oscille entre deux représentations, pénétrée et impénétrable. Les deux figures sont féminités, s’entremêlent, si bien que les deux sont exigées. Il est donc impossible pour les femmes de trancher, et de s’accomplir en se libérant des deux modèles. Elles doivent se conformer à chacun, alors même que l’un annule l’autre. La femme se retrouve donc coincée entre culpabilité d’être pénétrée car risque d’être considérée comme une salope, et culpabilité de ne pas l’être, car risque de ne pas être une femme. Pas véritablement. Coincée entre prude et pute, la femme ne sait plus où est sa place. C’est là l’une des causes du vaginisme.

La réponse à ce dilemme est le mariage. Vierge jusque-là, la femme devient être pénétré pour quelques temps. Elle se module aux exigences qui lui sont faites. Elle est une fille bien, et en même temps elle se conforme à son rôle d’être pénétré, à son rôle de réceptacle. Cette réponse est totalement disloquée par le vaginisme. Car si la femme vaginique a admis qu’elle devait rester vierge, ce n’est pas un contrat – si symbolique soit-il – qui la fera brusquement s’ouvrir. Il est trop tard pour ça. Le vaginisme est l’intégration d’une injonction dans le corps, et le corps ne s’en détache pas si facilement. La parole laisse des traces.


Violence intériorisée.


Ainsi les hommes (et les femmes) insistent tellement pour que les femmes restent vierges qu’elles en sont devenues malades. Malades à fermer les cuisses de façon incontrôlée. Malades à fermer les cuisses quand ce qu’elles voudraient elles, c’est de les écarter. Le vaginisme est une psychose qui ne touche que les femmes. Comment s’en étonner ? Il n’y a que les femmes qui, pour se punir de se faire du bien, se font du mal. Pas volontairement bien sûr mais parce qu’on les y pousse. Le vaginisme est l’intégration ultime de la culpabilité. Une injonction à ne pas coucher, gravée dans la chaire.


La victoire du patriarcat n’est pas la violence qu’il exerce contre le corps de la femme. Sa victoire la plus totale est d’avoir retourné ce corps contre lui-même. Qu’il en vienne follement à se punir d’exister. La femme vaginique éprouve une vive douleur lors de la pénétration, parce qu’elle est depuis toujours contrainte à y voir un mal.


La parole fait acte.


La femme vaginique se conforme donc à être la fille qui ferme les cuisses, la fille bien. Et en même temps, elle renonce à l’existence de femme, en se refusant d’être pénétrée. Elle est la résultante d’un imaginaire de la femme impossible à atteindre, un paradoxe initial, qui la rend toujours impropre, toujours duel.

La parole fait acte, et la femme vaginique en est le principal témoin.






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