Pornographie : L’art de la dissociation.
- Maelle Bizet Sable
- 17 janv. 2021
- 4 min de lecture

On suppose souvent que les femmes vaginiques ne connaissent rien de la sexualité ou du porno. C’est faux. Le vaginisme n’est pas qu’un problème d’ignorance, c’est plus largement un problème de dissociation.
Il y a quelque chose de très simpliste et réducteur dans les articles traitant de vaginisme. Soit la femme a vu « trop » de choses et se met la pression jusqu’à se bloquer. Soit, elle ne connaît rien, et son ignorance l’amène au même résultat. En réalité, la femme vaginique peut souvent savoir ce que signifie avoir des rapports sexuels sans se les autoriser. Elle ne parvient pas à se représenter elle-même comme un être sexué, et le porno peut contribuer à entretenir cette dissociation.
Une pression mise sur le corps.
C’est l’une des critiques qui revient le plus lorsqu’on parle de pornographie. La pornographie met en scène des corps dans lesquels la femme vaginique (ou non) ne se reconnait pas. Les corps sont idéalisés selon des normes strictes : épilation totale, seins, fesses, lèvres refaits, et pour les plus grosses industries le sexe des actrices lui-même a fait l’objet d’une opération. Lorsqu’on regarde un film de super-héros, on se fiche pas mal de ne pas ressembler aux personnages principaux. Lorsqu’il s’agit de porno, tout de suite c’est différent.
L’usage actuel du porno fait qu’on n’oublie ce qu’il est réellement, à savoir une fiction. Il possède alors un usage normatif. Personne ne culpabiliserait de ne pas ressembler à l’homme araignée. Pourtant les femmes sont invitées à s’en vouloir de ne pas ressembler aux actrices porno. Les hommes eux aussi sont soumis à des critères de désirabilité. Mais ils font rarement l’objet d’une forte sexualisation. Les corps masculins sont peu mis en scène, hormis dans l’univers homosexuel, ils ne sont pas faits pour désirer. Une pression est donc mise sur le corps des femmes dans la sphère du désir, de l’intimité, alors qu’elle devrait au contraire constituer un espace de confiance, de sécurité et d’affirmation de soi. La sexualité peut être le lieu pour se figurer autrement mais sans se voir imposer des standards étriqués de beauté.
Un truc réservé aux autres.
Chez la femme vaginique, cette pression peut aussi s’articuler différemment. La pénétration (parce que c’est ce que met en scène le plus souvent le porno) peut lui apparaître comme réservée aux autres, réservée à celles qui ont le corps pour. Il ne s’agit plus de se complexer, mais de se détacher complètement de cette identité d’être sexuel. La femme vaginique opère ainsi une dissociation à la fois entre le support visuel et sa personne, et entre son vagin et elle-même. Ainsi nombreuses sont les concernées qui ne connaissent pas leur vagin. Elles savent ce que c’est, bien sûr, mais elles ne l’ont jamais exploré. Comme si le vagin était un truc réservé aux autres. Elles ne le formulent pas comme leur appartenant, et elles ne s’imaginent pas pour exercer un contrôle dessus. Il est une chose à part, pour ne pas dire en trop.
C’est pour cette raison qu’une femme vaginique peut tout à fait encourager ses amies à avoir des relations sexuelles, en parler librement, et pourtant ne pas se l’autoriser. On se représente à tort la femme vaginique comme une femme en dehors de l’idée même de sexualité. Beaucoup de femmes élevées en dehors de toute sexualité ne font pas de vaginisme, et inversement : des femmes très libérées en apparence peuvent être concernées. Si le vaginisme touche 1 femme sur 10 c’est bien qu’il n’y a pas d’archétype déterminé. Mais la pornographie lorsqu’elle est considérée comme représentation du réel peut alimenter cette dissociation.
L’école de la douleur.
C’est mon dernier point et pourtant c’est celui qui peut paraître le plus évident : la violence contenue dans l’industrie pornographique peut être problématique. Attention, avoir des fantasmes violents n’est pas en soi un problème mais la pornographie se caractérise aujourd’hui par la prédominance de scénarios violents. Que ce soit dans les titres, dans les miniatures ou dans la vidéo elle-même, la violence est omniprésente, et presque exclusivement dirigée à l’égard des femmes. Les actrices se mettent par exemple régulièrement en scène en criant voire en pleurant. Ces images peuvent jouer un rôle dans la façon dont on construit son rapport à sa sexualité.
De plus, de nombreux pornos se jouent du concept de consentement. « Par surprise », « par erreur », « parce qu’elle l’a bien mérité », la multiplication de ces titres de vidéos dessinent les contours d’une femme qui n’est pas un être désirant, qui subit sans réellement participer. La pénétration apparaît comme une punition, douloureuse et parfois humiliante. Le cerveau procède par association d’idées. Les images négatives restent en mémoire et servent de fondement à l’imaginaire sexuel des femmes vaginiques. C’est un cercle vicieux, elles voient des femmes souffrant lors des rapports sexuels, craignent la pénétration et en finissent donc par elles-mêmes en souffrir.
L’art de la dissociation
La consommation d’images ultra violentes, dans une société où les relations sexuelles sont encore vues comme quelque chose de tabou, n’incite pas à voir dans le sexe une source de plaisir. Si l’on cessait d’associer douleurs et sexualité féminine, les femmes vaginiques appréhenderaient peut-être moins la pénétration. Dans les magazines, les femmes ayant une vie sexuelle avec pénétration ne jouissent pas, dans les livres elles ne sont plus « pures », et dans le porno, elles hurlent, voilà comment se figure la sexualité féminine. Comment s’étonner d’une volonté inconsciente de dissociation de la part des femmes vaginiques ?
Le vaginisme est-il le produit de l’industrie porno ? non. Mais en guérir, c’est se réapproprier son corps, sortir de la passivité et commencer à penser ce qui influence nos représentations de la sexualité. Le but n’est pas de diaboliser le porno, mais d’interroger l’usage qu’on en fait.
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