Quand l’héritage colonial dicte les codes de la sexualité.
- Maelle Bizet Sable
- 6 sept. 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 sept. 2021
Il suffit d’ouvrir n’importe quel site porno pour observer que les femmes sont mises dans des catégories : japonais, black, interracial, beurette… Et ce n’est pas parce qu’on ne consomme pas de porno, qu’on n’est pas influencé par ses codes.
L’origine du vaginisme se trouve dans la représentation inconsciente de l’acte sexuel, en particulier de la pénétration. Or les femmes noires, arabes, blanches, asiatiques ne sont pas représentées de la même façon dans la société, et dans l’imaginaire sexuel délivré par le porno. Le positionnement racial (c’est-à-dire la façon dont elles sont perçues) impacte donc la construction du vaginisme pour chacune de ces femmes.
Beurette et femme voilée.
L’une des premières cases, et la plus reconnue, est celle de la beurette (régulièrement en top recherche). C’est le fantasme de la religieuse qui se dévergonde, qui ôte son voile pour un homme, ou deux, ou trois. Comme presque toutes les catégories, celle de la beurette provient de la période coloniale, et postcolonial : elle est une façon de fantasmer l’Orient et l’apport de la civilisation. La femme voilée soumise est libérée sexuellement. Cet exotisme transposé sur le corps des femmes arabes a été dénoncé par le mouvement #pasvosbeurettes. Mais le vaginisme est en lui-même une autre forme de protestation.
Les femmes arabes peuvent développer du vaginisme en réaction à l’assignation à un fantasme sexuel : elles ne se reconnaissent pas dans la norme imposée, et leur inconscient s’heurte à cette différence. Pour en prendre conscience, vous pouvez vous interroger : à quelles représentations sexuelles je m’identifie et à quelles représentations sexuelles on me renvoi ?
Panthère noire.
Pour ce qui est de la femme noire dans le porno, l’exotisation est aussi de mise mais elle ne repose pas sur les mêmes procédés. La femme noire n’est pas dite soumise à l’inverse de la femme arabe, mais très active, presque trop. Elle est considérée comme sexuellement agressive, entreprenante et parfois dominatrice. Elle n’a pas besoin d’être libérée mais plutôt dompter, comme l’on dompterait un animal. Sa sexualisation repose sur une forme d’animalisation.
La société dicte à toutes les femmes une conduite sexuelle très limitée où la virginité est considérée comme sacrée. Mais du côté des représentations collectives, les femmes noires sont considérées, en tant que noires, comme devant avoir une sexualité libérée. Cette opposition entre deux assignations peut être, là aussi, à l’origine d’une forme de vaginisme : L’inconscient est pris entre deux feux, et fini par se bloquer.
Les femmes blanches, et le gangbang par des hommes noirs.
Pour ce qui est des femmes blanches dans l’industrie du porno, c’est différent. Elles ne sont dites blanches que lorsqu’elles sont filmées avec des personnes qui ne le sont pas. Et les vidéos les plus courantes sur ce sujet sont les gangbangs interraciaux (une femme blanche pour 10 hommes noirs). Cette fois c’est le partenaire, l’homme noir qui est animalisé, et la femme blanche est représentée comme une proie, prise d’assaut.
Petit point historique : Au XIXe et XXe siècles, l’État français tente de séparer symboliquement les colons des indigènes. L’accent sur la différence sert à justifier l’inégalité de traitement. L’idée d’une bestialité des colonisés se diffuse alors, et c’est sur cette idée que l’on fait des indigènes de prétendus plus grands violeurs. Les colons craignent qu’ils arrivent malheur à leurs épouses lorsqu’elles sortent des quartiers privés : le fantasme de la femme blanche prise d’assaut par des hommes non-blancs est né.
Peu à peu ce fantasme, qui concernait d’avantage les colonisés d’Afrique du nord parce que plus en contact avec les colons, évolue grâce à l’industrie du porno. C’est l’homme noir qui devient la grande crainte de la femme blanche. Les vidéos mettant en scène des gangbangs interraciaux sont nombreuses, et la violence de ces vidéos (souvent proches de viols) ne manque pas d’imprégner l’imaginaire des femmes vaginiques blanches.
Étudiante japonaise, la femme asiatique.
La femme asiatique fait l’objet d’une sexualisation extrêmement fétichisée. Pour commencer, elle est résumée à une nationalité – japonaise – dans la plupart des sites pornographiques. Ensuite, elle est censée correspondre à certains critères anatomiques comme l’étroitesse du vagin. Cette idée très répandue conduit à fausser les représentations des femmes asiatiques de leur propre intimité. Le vaginisme qui en résulte n’est pas tant en opposition qu’en adéquation avec la norme : à force d’entendre qu’elles sont trop serrées, renfermées, et que c’est ce qui fait leur désirabilité, les femmes asiatiques persuadent leur corps que c’est une réalité.
Parmi les femmes asiatiques, un autre fantasme s’ajoute : celui des femmes perçues comme « indiennes » et leur lien plus ou moins étroit avec le Kâma-Sûtra (réduit à simple livre sexuel ce qu’il n’est pas). Celles-ci sont alors réputées pour leurs capacités sexuelles ultra développées. Ces représentations peuvent être sources de pression, et donc de vaginisme : puisque plus les attentes sont mises sur les épaules des femmes, plus leur sexualité risque d’en être affectée.
En guise de conclusion, je dirais qu’être une femme ne suffit pas à expliquer la construction du vaginisme : parce qu’on n’est jamais simplement une femme. D’autres catégories entrent en compte dans nos identités, comme le positionnement racial, et ces catégories conditionnent nos imaginaires sexuels et ainsi le rapport que l’on entretient avec notre intimité. Pour repenser votre sexualité, vous pouvez vous orienter vers des sites comme Bellesa qui disent ouvertement non à ces schémas et vous interrogez sur l’importance de ces schémas dans votre propre imaginaire.
Pour aller plus loin, je vous recommande l’épisode La Geisha, La Panthère et la Gazelle, du podcast Kiffe ta race, qui discute librement autour de la thématique : comment sortir de cet imaginaire collectif autour des femmes non-blanches ?

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