Quand je parle de sexualité autour de moi, beaucoup de personnes ne parviennent pas à qualifier de traumatismes les actes qu’elles ont subi ou accompli. Le traumatisme devrait être réservé aux agressions ultra violentes et beaucoup ne se sentent pas légitimes à parler de leur passé. Pourquoi est-il si difficile de reconnaître ses traumatismes ?
Entre banalisation, honte et hiérarchisation.
Le frein majeur pour reconnaître ses traumas, c’est la tendance générale à la banalisation – c’était y’a longtemps, ce n’était pas si grave – qui vient de l’extérieur mais aussi de la personne concernée. Pour l’extérieur : ce sont les proches qui souhaitent qu’elle passe à autre chose, qui ne comprennent pas la portée de l’évènement et pas forcément avec une mauvaise intention. Pour la personne concernée : c’est une façon de se protéger en mettant à distance l’évènement.
(D’ailleurs plus l’agresseur est proche de la victime, plus la banalisation est forte).
L’autre danger majeur est la vision binaire. Quand on parle de traumatisme sexuel, on sous-entend quasi exclusivement la question du viol. Le viol est traumatisant oui, mais d’autres évènements le sont aussi. Au sein même du viol, des hiérarchies sont faites : le viol conjugal n’est pas perçu comme le viol collectif par exemple. Pourtant dans chaque cas ce qui n’est pas respecté c’est le consentement. C’est comme s’il existait des facteurs aggravants qui justifient qu’on ne s’en remette pas : cette attente d’actes spectaculaires de violence freine la reconnaissance de ses propres traumas.
Le dernier frein est assez simple : personne n’a envie d’être considéré et de se considérer comme une victime. Beaucoup vivent comme une faiblesse leurs traumatismes ou se culpabilisent de ce qui s’est passé à ce moment-là. C’est un problème de société : on fait porter la honte sur ceux qui devraient être pris en charge.
C’est quoi un trauma ? Quel discours s’est construit autour de ces traumas ?
La notion de « toujours pire ailleurs » ne fonctionne pas pour parler de traumatisme. Il y a différents degrés de traumatisme mais ils ne sont pas comparables d’une personne à l’autre, ça ne marche pas comme ça. Le traumatisme direct relève toujours de la perception individuelle. Pour t’expliquer simplement, un trauma ce n’est pas tant l’évènement que le discours, les pensées et les croyances qui se construisent autour. Comment tu as perçu l’évènement, comment tu t’es senti, à quoi cet évènement t’a renvoyé, et comment il a impacté ta propre image : c’est tous ces éléments qui fondent le traumatisme.
Il fait donc appel et active une mémoire propre à chacun, ce qui explique que tout le monde ne réagisse pas de la même façon. Les femmes ou enfants battus, par exemple, peuvent manifester des signes d’extrême vigilance ou des comportements de défense lorsqu’ils sont dans une situation qui te paraitrait anodine.
De la même façon, on projette souvent des attentes sur les traumatisés qui devraient en sortir plus « forts » (selon une conception de la force très problématique). « Il t’est arrivé tellement pire que ça à côté ce n’est rien » Ce type d’affirmation est totalement fausse, il n’y a pas d’adaptation à la violence. L’expérience n’immunise pas, au contraire, elle alimente le traumatisme.
Liste non exhaustive des choses qui impactent la sexualité sans qu’on en prenne conscience.
La sexualisation non consentie a un impact, et elle comprend : la demande de photos avec insistance, les compliments uniquement basés sur des attributs sexualisés ou alors l’interprétation de certains actes comme excitants.
L’harcèlement sexuel a un impact et ce n’est pas forcément le boss ou le prof : c’est aussi le partenaire ou le flirt qui insiste pour avoir des relations sexuelles quand tu n’en veux pas, ou pas encore.
L’harcèlement de rue a un impact et ce n’est pas parce que ça touche toutes les femmes que c’est moins grave ou moins traumatisant.
Être considéré comme la pute de son collège (slutshaming), c’est traumatisant. Être constamment critiqué et ramené à son physique (bodyshaming), c’est traumatisant.
Les rapports voulus peuvent être aussi traumatisants : le consentement n’empêche pas la violence.
En bref, tu n’as pas à mésestimer ton expérience parce qu’elle ne correspond pas à l’idée que tu as du traumatisme. La seule personne qui peut évaluer tes traumatismes c’est toi-même. Même un.e psy ne peut invalider ton ressenti : il.elle peut mettre le mot de trauma sur une expérience que tu considères anecdotique, pas l’inverse.
So on retient quoi ?
Poser le terme de traumatisme sur des expériences passées, c’est le premier pas pour les soigner. Alors oublie tout ce que tu as appris sur le traumatisme et fonde un nouvel imaginaire : Il ne se limite pas au viol violent, chacun réagit différemment, il n’est pas une faiblesse et il est toujours légitime.
Xoxo,
Maelle S.B
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